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Pacifique, semaine 3 : zoom sur les haubans

Ecrit le 7 avril mais publié avec un peu de retard !

La routine s’installe pour de bon, au début de cette troisième semaine, les quarts se suivent et se ressemblent, on commence même à chercher d’autres occupations que la lecture pour varier les plaisirs.
D’ailleurs, question exotisme dans les quarts, j’ai inauguré le quart-somnambule. Réveillée, mais à moitié seulement, par le réveil qui alertait Tomtom, de quart, qu’il était temps de jeter un œil dehors et de vérifier le cap, j’ai vaguement le souvenir de m’être levée de la couchette, d’avoir envoyé Tomtom s’y coucher confortablement, et d’avoir pris sa place sur la couchette navigateur. Il ne s’est pas trop fait prier, d’ailleurs. Ça m’a fait tout bizarre, au bip bip suivant, de lire « 2h13 », heure à laquelle normalement je dors profondément. Ça m’a même bien réveillée, j’ai passé ce qui restait du quart de Tomtom et le mien à m’interroger sur ce qui m’avait pris, jusqu’où suis-je capable de prendre des initiatives pendant mon sommeil ? Je savais que parfois je parlais en dormant, mais de là à me lever…

Bref, nous continuons tranquillement sur notre route vers Pâques, parfois au travers, parfois au bon-plein, gérant les quelques surventes qui ont pimenté des conditions quand même assez stables, et en se disant que c’est chouette, quand même, de naviguer sans avoir de pépin, qui plus est sans avoir à démarrer le moteur grâce à Irène l’éolienne et Lucifer le panneau solaire…

Jusqu’à ce que Tomtom, au détour d’une de ses habituelles promenade-vérifications sur le pont, revienne dans le cockpit, inquiet : le bas-hauban bâbord avant a un toron cassé au niveau du sertissage (cherchez « sertissage hauban » ou « sertissage câble inox » sur Google images pour voir à quoi ça ressemble).
Réduction immédiate de la voilure, on va voir ça de plus près. On regarde ce que Nigel dit de tout ça par acquit de conscience (parce que le bon sens nous dit quand même que faut pas continuer comme si de rien n’était)… Ah, sur les 19 torons du câble, il nous annonce qu’il n’y a aucune marge de tolérance, 1 toron hors-service = un câble à changer immédiatement. Ce qui est logique, et n’est pas une bonne nouvelle au milieu d’un des coins les plus déserts du Pacifique, hors de toute route commerciale.
On décide quand même de continuer vers Pâques sous voilure très réduite tout en surveillant l’évolution du bazar. C’est un peu frustrant, car on vérifie systématiquement ces potentiels points faibles à chaque escale en plus de les nettoyer et rincer minutieusement pour éviter la corrosion, et d’autant plus consciencieusement avant un long trajet. Il va sans dire que ça a été fait à Panama avant de partir … C’est d’ailleurs cette surveillance approfondie ainsi que le bon état initial du gréement qui nous ont amenés à ne pas embarquer d’embout de rechange à sertissage manuel ni prévoir de solution de secours (surtout que ce n’est pas si simple, il aurait fallu concevoir une rallonge spéciale pour se connecter au raccord et il y en aurait probablement eu pour assez cher). On se disait que si ça lâchait, on aurait le temps de voir venir et ce serait bien le diable si ça arrivait sans prévenir à plus de 500 milles d’un endroit où faire la réparation (c’est là que normalement le diable se marre).
Quelques heures plus tard, alors qu’on fête la barre des 1000 milles (distance restant à parcourir jusqu’à Pâques), le contrôle du bas-hauban sous surveillance médicale nous fait découvrir non pas un, mais 4 torons cassés. Ça sent le roussi pour Pâques… En attendant de prendre une décision définitive, on abat (on passe au portant, vent arrière ou presque) pour soulager le gréement, cap sur les Gambier à 2200 milles dans l’Ouest. Oui, c’est plus long, mais les chances que le hauban ne lâche pas sont multipliées par un bon paquet.

Pendant un ou deux jours, on hésite : l’envie de visiter l’île aux Moais est vraiment forte. Mais l’un de nous deux est toujours assez raisonnable pour que l’on conserve notre cap vers Mangareva pour des tas de raisons rationnelles :
– Pour aller aux Gambier, on a les voiles en ciseaux, vent entre largue et vent arrière, ce qui soulage notablement le bas-hauban fragilisé, alors que le travers bon-plein qui nous emmenait à Pâques le sollicitait beaucoup (bateau très gîté et chocs dans les vagues)
– à Pâques, on ne pourra pas réparer. Il doit y avoir une cinquantaine de voiliers qui s’y arrêtent par an, pas de quoi justifier la présence d’un atelier qui fabriquerait des gréements. On pourra de plus difficilement attendre une pièce pendant 3 semaines, les mouillages sont peu protégés et s’il fait mauvais il faut déguerpir. (mise à jour du 13/04 : merci tout de même à l’équipage de Fleur de Sel qui a ensuite eu la gentillesse de nous proposer d’expédier rapidement des pièces du Chili à Pâques, mais nous étions déjà trop loin pour bifurquer à nouveau vers l’île)
– on a de quoi se nourrir et s’hydrater en quantité jusqu’à Mangareva. Une fois là-bas, on prendra contact avec des gréeurs à Tahiti pour préparer la réparation et probablement le remplacement de presque tout le gréement dormant (car si un câble a cassé, les autres ne vont pas tarder). Pour aller de Mangareva à Tahiti, c’est du vent arrière tout le long, ça ne devrait pas poser plus de problèmes que pour arriver aux Gambier.
– si on visite Pâques avec le stress d’un mât qui risque de se casser la figure, on ne va pas profiter de l’île comme on aimerait en profiter. Mieux vaut y revenir dans quelques années, lors d’un prochain voyage.

Par ailleurs, comme on n’a pas non plus une folle envie d’attendre que le mât veuille bien se casser la figure sur nos têtes, on se met à installer des systèmes de sécurité qui pourraient prendre le relais en cas de rupture totale du hauban.

1. on perce des écrous de 8 pour adoucir leur filetage intérieur, on les scie en deux et on prépare deux petites plaques d’inox. L’idée est d’entourer le câble dans les écrous et d’assurer la pression avec les deux plaques. « Sertissage » à la Mac Gyver, en utilisant de la Patafix pour maintenir les différentes pièces le temps de serrer le tout. Ce sertissage à écrous sert à obtenir un point fixe sur le câble, au-dessus duquel on installe deux boucles en grosse garcette, en choisissant un nœud qui n’aura pas tendance à glisser le long du câble (nœud d’étrier à tours multiples). Ensuite, on vient reprendre la tension avec des cordages, entre le nœud au-dessus des écrous et la cadène sur le pont. Pour y mettre le maximum de tension, on se fait un petit brêlage à 8 brins à chaque fois. Ce qui nous fait déjà 2 sécus.

Le sertissage à la patafix expliqué en images (cliquez pour agrandir)

2. dans le même état d’esprit, on fait des surliures un peu plus haut sur le câble, d’abord avec du fil à coudre les voiles, puis avec de la mini-garcette, puis avec de la garcette. Ici encore, l’objectif est de faire un point fixe sur le câble, au-dessus duquel on installe deux boucles en noeud d’étrier et hop, encore des cordages vers le pont (cadène et rail de fargue) pour reprendre la tension. On a un peu moins confiance en ce système de surliures qu’en l’autre système avec les écrous pour ne pas glisser, mais c’est la première idée qui est venue à l’esprit, pas question de l’enlever, ça nous fait 2 sécus en plus. Et de 4.

Un empilement de surliures empêche les noeuds de glisser le long du câble (cliquez pour agrandir)

3. Une autre sécu, c’est le tangon qui maintient Corentin le numéro un au portant. Il nous plait assez, car la poulie de la balancine de tangon est fixée au mât à peu près au même endroit que le bas-hauban, le tangon permet d’éloigner le point de tire et donc de diminuer les efforts, et en plus il est bien dans l’axe du bas-hauban. Ça nous fait un outrigger – une barre de flèche géante, comme les Open 60 du Vendée Globe ! – bien placé. Et de 5 sécus.
4. On passe une grosse écoute au niveau de la barre de flèche pour tirer directement sur le mât. On était un peu récalcitrants à monter dans le mât en mer et avec un bas-hauban défectueux (en plus d’un mix de flemme et de frousse !), donc on a essayé des tas de choses : utiliser la drisse de la grand-voile, avec un poids et une garcette pour la faire revenir au bon endroit après (bilan : poids pas assez lourd, et puis ça s’emmêle), faire une pomme de touline avec de la garcette et la lancer au-dessus de la barre de flèches (pas facile quand le bateau bouge, et puis surtout quand ça passe, plutôt que de descendre d’un coup avec le poids de la pomme de touline, la garcette s’emmêle tout là-haut autour de la barre de flèche, des haubans, etc etc, la petite garce bien nommée). Bref, il a bien fallu monter au mât pour passer notre grosse écoute et en profiter pour décoincer la pomme de touline. Merci Tomtom de l’avoir fait… Pour en revenir à notre grosse écoute, elle entoure le mât, coincée par la barre de flèche tribord, et redescend vers le pont, où elle est fixée à un palan qui reprend la tension vers le pont. Sécu n°6, mais comme elle est en textile et très longue, elle nous semble un peu trop élastique pour être efficace, malgré tous nos efforts pour la tendre. Et puis ça ne nous plait que moyennement d’appuyer sur les fixations de la barre de flèche, ce n’est pas fait pour travailler dans ce sens-là.

Avec tout ça, on ne s’est pas du tout ennuyés, ça nous a bien occupés pendant deux jours !

On a également réfléchi à la possibilité d’affaler toutes les voiles pour ne plus solliciter le mât. Soit on se laisse dériver – mais on ne dérive pas tout à fait dans la bonne direction – soit on passe au moteur, mais après quelques calculs, il nous reste du mazout pour faire 650 milles environ, pas assez pour arriver à bon port. Et surtout, surtout, sans voiles, Schnaps est complètement soumis aux mouvements des vagues. Or le poids du mât est loin d’être négligeable, et rien que les mouvements de roulis du bateau tendent et détendent le gréement et fatiguent donc les quelques torons restants du bas-hauban. Mieux vaut donc continuer à la voile, même avec une surface réduite, en imposant une tension à peu près constante sur les câbles, plutôt que de soumettre ces câbles à des tensions plus variables et surtout pendant plus longtemps.

Pour finir de s’occuper, on a également imaginé notre futur nouveau gréement et notamment ses liaisons au pont pour pouvoir avoir des solutions de secours toutes prêtes en cas de rupture d’un hauban ou d’une pièce du gréement en pleine mer. Avec les éléments qu’on a, ce n’est pas évident du tout, mais tant qu’à installer de nouveaux câbles, autant réfléchir à un montage qui permette de réparer en mer, loin de tout et en 5 minutes chrono… On vous épargne ces réflexions : pas facile sans schémas, et puis c’est encore à confirmer en fonction de ce qu’on pourra trouver à Tahiti.

Pendant tout ce temps, un ou deux torons supplémentaires rompent, mais on ne peut rien y faire, et notre imagination n’a plus de ressources pour fabriquer une 7ème sécu… L’état du câble a l’air de se stabiliser, ça serait bien qu’il se stabilise jusqu’à Tahiti, mais on a bon espoir, ça fait déjà 500 milles qu’on avance comme ça ! Heureusement, la météo a été clémente ces derniers jours et ça semble vouloir continuer …

Mise à jour du 13 avril : le câble tient toujours et n’a pas bougé depuis une semaine. Bien sûr, on suit ça de très très près. Le stress relativement intense des premiers jours (on a beau savoir qu’on a un mât super solide et qu’a priori même sans bas-hauban il tiendra, on ne peut pas s’empêcher de se poser des tas de questions en essayant de s’endormir : le mât sera-t-il toujours debout demain matin ? ça fait quel bruit un hauban qui pète ? …) a bien diminué et on est bien plus sereins sur la tenue du gréement jusqu’à Mangareva puis Tahiti !


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4 comments to Pacifique, semaine 3 : zoom sur les haubans

  • Claire TABARY

    ah, ah, serais-je la première à pouvoir enfin utiliser le « commentaire » après votre longue traversée de 44 jours un peu trop riche en stress et en tuiles très malvenues. Vous me direz que n’importe quelle tuile est malvenue, surtout au milieu de nulle part dans votre désert liquide. Mais tout le monde peut souffler et dormir sur ses deux oreilles, les spectateurs comme les acteurs, vous êtes enfin rendus. Je connais 2 paires de gambettes qui doivent être aux anges de pouvoir se défouler à terre… et vivent les fruits et les légumes frais!

    • Tomtom & Clairette

      Ah non, les tuiles ne sont pas malvenues partout. Elles sont très bienvenues sur un toit par exemple. Pour les gambettes, vu le temps qu’il fait (grosses pluies), les grandes balades attendront probablement que le soleil revienne.

  • Claire TABARY

    ah, j’avais oublié: il s’agit maintenant de sauver le soldat Tho-mât, prenez tout de même le temps de vous relâcher.

    • Tomtom & Clairette

      T’inquiète pas, de toutes façons il va falloir attendre des pièces, en attendant on ne peut pas bouger d’ici, donc on est obligés de prendre des vraies vacances !

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