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Le pilotage automatique

Pour conduire Schnaps à travers les océans, il y a plusieurs possibilités : soit Tomtom prend la barre, soit Clairette prend la barre, soit on fait appel à des Zappareils qui nous permettent de vaquer à des tas d’autres occupations, sans toutefois oublier de jeter un œil dehors de temps à autre histoire de vérifier que tout se passe bien et qu’on ne va s’emplafonner ni un autre bateau, ni un caillou ou autre bouée de casier …

Il va sans dire que, à part quand on a envie de jouer un peu ou que les conditions ne le permettent pas, on passe les commandes à un des Zappareils pour pouvoir régler les voiles, pêcher, cuisiner, lire, bricoler ou même … heu non ça ça ne vous regarde pas Smile .

Contrairement à une voiture avec un volant pour la direction et des pédales pour la vitesse, sur un voilier on n’a pas vraiment d’accélérateur ni de frein : on va à la vitese à laquelle on peut aller (souvent le plus vite possible, y a pas de radar en mer !), qui dépend principalement du vent (force et direction) et du réglage des voiles. Ce qui est important, une fois que l’on a adapté la voilure à la force du vent et à la vitesse à laquelle on souhaite naviguer (on peut vouloir ralentir pour arriver de jour quelque part), c’est d’aller vers la destination, ou du moins là où on souhaite aller pour l’atteindre. Il n’y a donc qu’un seul paramètre à contrôler, c’est la direction, ou le cap du bateau, que l’on peut maîtriser avec la barre en changeant l’angle du safran.

Les Zappareils grâce auxquels on n’a quasiment jamais besoin de se retrouver derrière la barre en nav hauturière n’agissent en conséquence que sur ce paramètre, afin que le bateau aille le plus droit possible … Ça a l’air tout simple dit comme ça, mais ce n’est pas si évident que ça, étant donné que le bateau évolue dans un milieu qui n’a rien de stationnaire : il y a notamment des risées et des vagues qui font rien que l’embêter et essayer de le faire dévier de sa route. Quand c’est une Clairette ou un Tomtom qui sont à la barre, ils peuvent percevoir les changements de vent, voir une vague plus grosse qu’une autre ou sentir les mouvements du bateau pour s’adapter aux conditions. Pour les Zappareils, qui n’ont ni yeux ni oreilles (internes) ni fesses (les fesses c’est pour sentir les mouvements du bateau !), ce n’est pas si évident, comme vous allez le voir pour Eliott, Raymond et Raymonde, les trois pilotes automatiques du bord.

Le premier, qui était déjà en place sur le bateau au moment de son achat, est un pilote automatique in-board hydraulique sur bras de mèche avec gyromètre. Attendez avant d’arrêter de lire, je vais expliquer. « Pilote », c’est parce qu’il conduit, mais ça fait 3 paragraphes que je l’explique donc je pense que c’est bon. « Automatique », heu, bon, je sais qu’il y a des gens pas très fut-fut qui nous lisent (on a les stats Smile ) mais ça devrait aller aussi. « In-board » (ah, ça se corse), c’est parce qu’il est caché à l’intérieur du bateau. « Hydraulique », c’est parce que le safran est commandé par un vérin hydraulique, vérin qui permet de transmettre des efforts considérables et ne consomme de l’énergie que pour changer l’angle de barre (il tient sans problème un angle constant). « Sur bras de mèche », ça veut dire que le vérin est relié directement à la mèche de safran via un bras en inox sans passer par la barre à roue qui est dans le cockpit : on gagne en efficacité (pas de jeu ou d’élasticité introduite par le système de drosses, moins de frottements) et en sécurité (si une drosse casse, le pilote fonctionne quand même et peut même nous servir de barre de secours).

verinPiloteSecteur.jpg

La mèche de safran (la grosse tige verticale en inox avec le bout carré) et ce qui lui est greffé pour la commander. La barre commande les drosses qui commandent le secteur, et le vérin hydraulique du pilote entraîne directement la mèche par l’intermédiaire d’un bras.

Enfin, « avec gyromètre » signifie que le calculateur du pilote (celui qui dit à la pompe hydraulique de tourner dans un sens ou dans l’autre pour actionner le vérin) est doté d’un instrument de mesure de la vitesse de lacet (rotation autour de l’axe vertical), ce qui lui permet de sentir à sa manière les mouvements du bateau. Cette information est complétée par toutes celles qui proviennent de la centrale de navigation : girouette, speedo, cap compas, angle de barre, température de l’eau … euh non ça il s’en fout … pour actionner le vérin juste comme il faut en fonction de la consigne (qui peut être un cap compas, un angle par rapport au vent ou un éventuellement un waypoint GPS si jamais un jour on s’équipe du petit appareil en plus qui va bien) et même, grace au gyromètre, compenser les mouvements introduits par les vagues ! Un vrai concentré de technologie, surtout si on lui ajoute une télécommande sans fil qui, en plus de pouvoir diriger le bateau depuis n’importe où (le haut du mât si ça nous chante), actionne le mode « homme à la mer » si elle se retrouve à plus de 30m du bateau,, et ce même si le pilote n’est pas en route : le pilote manœuvre alors pour mettre le bateau à la cape, tout seul, pendant qu’une alarme retentit, que le point de chute est mémorisé et que le moteur est coupé, si ce dernier était en route (bon ça ça ne marche pas encore chez nous, on hésite encore à le mettre en place car en double ça ne vaut peut-être pas le coup !). Ce dernier point est une des raisons qui, lorsque le calculateur d’origine nous a lâchés pour de bon en arrivant au Cap-Vert, nous a incités à racheter le même modèle plutôt que de choisir quelque chose de moins haut de gamme. Le lecteur assidu aura suivi nos précédentes mésaventures avec Charlotte … C’est désormais Eliott, muni d’un circuit de protection contre les surtensions qui tient les commandes !

Ce pilote a des tas d’avantages (robuste, très peu d’entretien, capable de barrer mieux qu’un humain moyen par tous les temps ou presque et à toutes les allures, capable d’arrêter le bateau tout seul en cas d’homme à la mer) mais il a un inconvénient de taille : il bouffe des ampères de façon non négligeable … Du coup, quand on peut, on lui préfère Raymond le régulateur d’allure, dont l’avantage principal est qu’il ne consomme absolument rien, puisque son fonctionnement est entièrement mécanique.

Quand Raymond barre, tout repose en effet sur des biellettes, engrenages, drosses et autres excentriques (il y a une blague un peu nulle à faire avec excentrique mais je m’abstiendrai) qui se transmettent mouvements et efforts de façon très ingénieuse, tellement ingénieuse que ça m’arrive de passer de bon moments rien qu’à contempler son fonctionnement. Je vais essayer de vous expliquer parce que je trouve ça beau (de cheval).

Raymond, comme son nom l’indique, régule l’allure, c’est à dire la direction par rapport au vent. Il acquiert cette information par son aérien, un fin panneau de contreplaqué articulé suivant un axe horizontal. En basculant d’un côté ou de l’autre, cet aérien entraîne une biellette, qui elle-même fait tourner (très peu, mais ça suffit) un engrenage afin de transmettre cette petite rotation à un safran immergé (qui est un plus gros morceau de bois profilé), ce qui provoque une force (importante, proportionnelle au carré de la vitesse du bateau, ce qui est très intéressant car plus on va vite et plus la barre est, en général, dure) sur ce safran, le fait pivoter du bon côté et entraîne du même coup deux drosses qui, via 5 petites poulies, un trou dans la cloison du cockpit et un disque d’embrayage, permettent de tourner la barre à roue. Vous n’avez pas tout suivi ? Voici une petite photo explicative, et une vidéo pour bien visualiser tout ça en mouvement, et du même coup illustrer la phrase à rallonge qui précède :

RaymondExplique.jpg

Raymond pilote Schnaps dans une eau bleu transparent, entre Statia et Panama. Pour qu’il fonctionne correctement, il faut impérativement que le bateau soit bien équilibré sous voiles

 

Petite démonstration. C’est chouette, non ?

Comme vous l’avez probablement remarqué sur la photo ci-dessus, on peut en plus régler la valeur de consigne (l’angle par rapport au vent) bien confortablement assis dans le cockpit grâce à un bout de commande (rouge). Ce n’est pas aussi perfectionné que la télécommande d’Eliott, mais c’est quand même pas mal de pouvoir ajuster le cap sans devoir aller faire le zouave sur la jupe, particulièrement de nuit quand les conditions ne sont pas si faciles.

Au début, on pensait n’utiliser Raymond qu’au près ou au travers et par mer calme. En effet, plus le vent apparent est faible et changeant (au portant / vent arrière, typiquement), plus la pale immergée reçoit une information brouillée et plus le bateau fait des S. De même, dans les vagues, les mouvements du bateau et de la surface de l’eau perturbent d’une part l’aérien mais aussi la pale immergée. En fait, on l’utilise 80 ou 90% du temps, même au vent arrière, même dans les vagues, et ça marche vraiment bien, même si on fait un peu de zigzags. J’ai lu il n’y a pas longtemps le livre du concepteur de Raymond (c’est un Windpilot Pacific pour le nommer) et il racontait que la plupart des gens avaient déjà un pilote in-board perfectionné lorsqu’ils ont acquis un régulateur d’allure – c’était notre cas – se retrouvaient à utiliser ce dernier 90% du temps – et c’est notre cas aussi ! En effet, c’est tellement agréable de se laisser glisser sans le bzzz bzzz de la pompe et surtout sans consommer un ampère, guidés par une belle mécanique … même si cette belle mécanique encombre un peu la jupe (pas facile de découper du poisson entre les drosses, un jour on essaiera de trouver un système pour les passer par dessous la jupe)

Mais, car il y a un mais, et surtout j’ai dit qu’on avait 3 pilotes à bord et je n’ai parlé que de deux d’entre eux alors je vais pas vous laisser plantés là nonmého, il y a des cas où Raymond n’est soit pas très performant (au vent arrière par exemple), soit pas du tout (au portant avec très peu de vent). Il faut donc soit brancher Eliott (mais ça consomme beaucoup, et moins le bateau va vite plus l’amplitude des mouvements du safran augmente, et donc plus on avale d’ampères, et puis on n’a pas eu d’Eliott ni de Charlotte pendant deux mois), soit faire entrer en jeu un nouveau Zappareil : Raymonde.

Raymonde, c’est un petit pilote de barre franche (une barre franche c’est une barre reliée directement au safran, voir l’image ici), le plus petit qu’on ait trouvé, conçu pour des petits bateaux de moins de 3 tonnes. Vous allez me dire que Schnaps c’est pas un petit bateau, qu’il fait beaucoup plus de 3 tonnes, et vous aurez raison. En fait on va utiliser une astuce : comme Raymond ne peut pas fonctionner parce que le vent apparent est trop faible ou trop changeant pour actionner son aérien, il suffit de remplacer son aérien par un signal valable … et donc de connecter un petit vérin électrique commandé correctement au balancier de l’aérien ! D’où le petit pilote de barre franche, qui consomme très peu (il a juste à déplacer le balancier, il n’y a pratiquement pas d’effort du tout, ce qui nécessite très peu de puissance, donc de courant) et permet de garder un cap compas très correct, ou même de s’appuyer sur les instruments de bord (la girouette en tête de mât est plus fiable quand le vent est faible, enfin pas trop faible quand même sinon le roulis perturbe tout) ou le GPS. On a installé Raymonde au Cap-Vert (merci à Kay et son chantier naval qui propose toute la gamme Raymarine pour moins cher qu’en Europe au milieu de l’Atlantique), après le dernier souffle de Charlotte, histoire de pouvoir avancer un peu même dans la pétole, et éventuellement au moteur, la traversée du Golfe de Gascogne dans les calmes et sans pilote nous ayant laissé de mauvais souvenirs.

RaymondeBarre.jpg

Quand il y a trop peu de vent, que l’on doit suivre précisément un cap compas (près des côtes) ou encore que l’on navigue au vent arrière, Raymond range son aérien et obéit au doigt et à l’œil à Raymonde, qui s’appuie sur un support fixé au mâtereau arrière

Voilà, vous savez tout sur les 3 compères qui nous permettent d’avancer tout en faisant des tas d’autres choses à bord, et sans lesquelles la navigation ne pourrait pas être aussi reposante et détendue, et le moindre petit pépin à réparer en mer (ça on commence à connaître) rendrait la situation difficile, pas évident de purger un circuit de gasoil tout en tenant la barre pendant 4h …

A propos et pour l’anecdote rigolote de fin d’article fleuve, Jimmy Cornell, l’auteur de World Cruising Routes (entre autres) et fondateur du site noonsite.com (qui nous sert beaucoup pour préparer nos escales), raconte avoir rencontré un jour aux Antilles un couple de Suédois qui avaient construit leur bateau en Australie et rentraient en Europe. S’étonnant de la non présence à bord d’un régulateur d’allure ou d’un pilote automatique, il s’est vu répondre « Ben quoi, vous n’aimez pas faire de la voile ? ». Ils sont fous, ces Suédois Smile

C’est sûr, on peut faire sans, mais une fois qu’on a goûté au plaisir d’un bateau qui glisse tout seul sans bruit et sans jamais s’accorder 5 minutes de pause pour se reposer, on a du mal à s’en passer !


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3 comments to Le pilotage automatique

  • Claire TABARY

    ben, je suis toujours un peu larguée dès que vous abordez la technique, mais je vois surtout que les trois acolytes vous permettent de souffler et puis il y a des progrès qui sont bons à prendre, après tout. Vous avez bien assez de boulot par ailleurs.

  • Claire TABARY

    ah, j’oubliais, c’est bien de filmer l’engin à l’oeuvre, mais j’aimerais bien vous voir aussi, dans votre élément.

  • Nicolas

    Je n’avais jamais vu ni entendu parler d’un système de pilot comme Raymonde.
    C’est absolument malin. Bravo

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